Le télétravail : importance et impacts.


"Que savons-nous aujourd'hui des effets économiques du télétravail ?", Trésor Eco N°270, novembre 2020

Si le télétravail s’impose du fait de la crise sanitaire, il demeure un fait minoritaire offrant des aspects positifs, sous réserve de trouver un équilibre entre présentiel et travail à distance. Une question demeure en suspens ; son impact sur la productivité.

⇒ Le chiffrement de la présence en télétravail

En 2017 selon la Dares, seuls 3% des salariés pratiquaient le télétravail de manière régulière  (c’est-à-dire au moins un jour par semaine) ; en intégrant les télétravailleurs plus occasionnels, leur part monte à 7%. La France se situerait un peu au-dessus de la moyenne européenne (5%) d’après Eurostat, mais en dessous des Pays-Bas (14%) ou de la Finlande (13%).

 

Durant le confinement, le recours au télétravail a beaucoup augmenté pour atteindre 25% selon la Dares. Il a été mis en place dans l’urgence et dans des conditions particulières (télétravail à temps plein, absence de solution de garde des enfants, impréparation etc.), et a pu être imposé sans l’accord des salariés. Noter que les femmes ont été moins nombreuses que les hommes à disposer d’une pièce dédiée pour télétravailler durant le confinement (25 contre 41% pour les hommes).

 

D’après l’enquête Acemo-Covid (Dares) en mai 2020, les trois secteurs qui avaient le plus recours au télétravail en avril 2020 étaient les secteurs information et communication (62% des salariés), les activités financières et d’assurance (53%), les activités immobilières (43%) tandis que l’hébergement et la restauration (4%), l’industrie agroalimentaire (11%) et la construction (12%) y avaient peu recours.

 

♦ 37% des entreprises estimaient en avril 2020 ne pas pouvoir continuer à fonctionner de manière normale plus d’un mois en raison de la forte proportion de salariés en télétravail. Ainsi, dès juillet et août, 10% des salariés télétravaillaient encore.

 

♦ Fin septembre, seulement 12% contre 70% sur site (3% étaient soumis au chômage partiel et 15% en arrêt ou en congés). Cette proportion de 12% montre un « retour à l’avant-pandémie », puisqu’elle était de 17% en juin, et 25% en avril, en plein confinement.

 

♦ Au total, 5 millions de Français ont télétravaillé en mars, mais ils n’étaient plus que 1,8 million en octobre, alors que près de 8 millions d’emplois (soit plus de 4 emplois sur 10) seraient aujourd’hui compatibles avec le télétravail dans le secteur privé. En octobre, alors que la seconde vague commençait à déferler, le télétravail ne se situait qu’à 22% de son potentiel.

 

Selon The Economist, les salariés français sont les Européens qui sont le plus retournés en présentiel : plus de 50% d’entre eux sont 5 jours sur 5 au bureau contre moins de 50% en Allemagne, 40% en Espagne et en Italie, et 30% en Grande-Bretagne.

 

♦ Pour la semaine du 2 au 8 novembre, où le télétravail était exigé, selon une enquête de Harris Interactive commandée par le ministère du Travail, sur les salariés présents, 59% ont travaillé sur site à plein temps, 20% ont alterné télétravail et présentiel et 20% n’ont fait que télétravailler. 27% des salariés en télétravail disent que leur employeur leur a demandé de revenir sur le lieu de travail pour des tâches dont ils considèrent qu’elles pourraient être faites à distance.

Parmi ceux qui ont télétravaillé, 43% l’ont fait au moins 5 jours dans cette semaine là, 33% entre 3 et 4 jours, 23% 1 ou 2 jours.

 

La littérature économique estime que les emplois pouvant faire l’objet d’un télétravail intégral concerne 37% des emplois. Elle constate aussi que les pays où le télétravail a été le plus utilisé pendant le confinement sont ceux où les citoyens ont eu le moins peur de perdre leur emploi à cause de la crise. Une étude allemande rapporte que les comtés et secteurs où le télétravail a le plus augmenté pendant le confinement sont aussi ceux où il y a eu le moins d’emplois détruits et le moins de contaminations.

♦ Quels travailleurs sont concernés ? Quels problèmes sont rencontrés ?

♦ Avant le 1er confinement, les télétravailleurs réguliers étaient pour 61% des cadres (les cadres commerciaux et les ingénieurs informaticiens dominent avec respectivement 16 et 14% de télétravailleurs réguliers). 

 

♦ Une enquête de l’ANDRH (Association nationale des directeurs des ressources humaines) auprès de ses adhérents en avril  montre qu’entre mi-mars et mi-avril 2020, 58% des DRH déploraient des difficultés d’adaptation des collaborateurs aux outils d’échange à distance, 46% faisaient face à un manque de matériel ou à des problèmes de connexion, et 38% ont dû « accompagner les managers ».

 

Selon l’enquête de Terra Nova d’avril 76% des managers interrogés par Terra Nova jugeaient que le travail à distance avait eu un impact positif sur leur confiance dans leurs collaborateurs et 72% pensaient qu’il avait eu également un impact positif sur la confiance que leur portaient leurs collaborateurs. 51% des managers considéraient même que le travail à distance avait facilité l’organisation de temps d’échange avec leurs collaborateurs (31% jugeant qu’ils l’avaient fait « autant qu’avant »). D’une manière générale, l’expérience du travail à distance lors du premier confinement a fait reculer la culture du présentéisme et du « command & control », si longtemps dominante dans notre pays.

 

♦ Toutefois, même si les données sont parcellaires, certaines enquêtes laissent penser que les 3/4 des salariés souhaitent continuer à télétravailler après la crise sanitaire.

 

♦ Selon l’enquête Harris en novembre pour le ministère du travail, seuls 36% disent pouvoir télétravailler sans difficulté, 25% avec difficulté, alors que pour 39% leur métier actuel ne leur permet pas.

Ceux qui n’ont pas télétravaillé sont 67% à mettre en avant l’impossibilité du fait du métier, 15% du fait du refus de l’employeur, 9% d’un problème d’équipement et 13% du fait du salarié (préférence du présentiel, contexte familial, problème de logement inadapté).

 

58% des salariés en télétravail à temps plein souhaiterait venir au moins un jour par semaine sur site; pour 47% l’employeur les autorise à revenir sur site parce qu’ils vivent mal le télétravail. De fait, 41% s’y sentent isolés, 32% le vivent mal au quotidien, 30% sont stressés. Bien sûr pour 91% la qualité de l’équipement est essentielle

⇒ Plus précisément, l’impact sur la vie des salariés et celui sur l’entreprise

♦ L’impact du télétravail sur la qualité de vie au travail est ambigu. Synonyme d’une autonomie accrue, il induit toutefois un risque d’isolement associé à un plus faible niveau d’interactions sociales.

S’il apporte une flexibilité qui peut permettre de mieux concilier vie privée et vie professionnelle, il peut aussi brouiller les frontières entre les deux (il peut favoriser l’empiètement du temps familial sur le temps de travail, mais aussi des horaires de travail plus extrêmes et atypiques) ; néanmoins, on a observé que, là où le télétravail a été davantage pratiqué, c’est là où les salariés déclarent avoir eu le moins de mal à concilier vie familiale et vie professionnelle (temps gagné dans les transports, un temps gagné qui a pu être réinvesti à la fois dans la vie de famille et la vie professionnelle).

 

♦ L’impulsion du top management en faveur de la conciliation vie privée et vie professionnelle dans le cadre du télétravail est un facteur déterminant.

 

♦ Certaines études montrent un impact positif du télétravail sur la productivité (entre 5 et 30%) ; d’autres suggèrent qu’une fois les biais de sélection contrôlés, le télétravail n’a aucun effet sur la productivité ; le télétravail est souvent défini de façon inconstante, ou bien les études ne donnent des résultats que pour des sous-populations marginales, rendant difficile l’extrapolation des résultats.

 

♦ Le télétravail peut réduire certains coûts pour les entreprises (immobiliers, énergétiques, salariaux) ; les coûts salariaux pourraient être réduits du fait d’une moindre désutilité du travail perçue par le salarié ; il pourrait également contribuer à une réduction des coûts de recrutement du fait du moindre turnover observé dans les entreprises l’ayant mis en place.
En outre, le télétravail pourrait accélérer le déploiement de l’économie numérique et favoriser ainsi des gains de productivité.

 

Enfin la pratique du télétravail depuis un espace de travail partagé (coworking) ou dans des tiers lieux, pourrait contribuer à améliorer la productivité des télétravailleurs, en garantissant de bonnes conditions matérielles de travail et en favorisant les interactions professionnelles en dehors de l’entreprise.

 

♦ Toutefois, le télétravail n’est pas sans poser problème pour le bon fonctionnement de l’entreprise : le télétravail nuit à la communication en face-à-face qui il accroît la productivité de l’équipe, par rapport à des échanges dématérialisés, particulièrement pour les tâches complexes ou urgentes ; il  limite les interactions sociales professionnelles, freinant le partage (y compris informel) de connaissance. L’optimum pourrait se situer à deux ou trois jours de télétravail par semaine, le salarié étant alors en capacité de répartir ses tâches pour maximiser les avantages de chacun des modes de travail (télétravail et travail sur site). Il peut aussi affecter la motivation des non-télétravailleurs,

 

♦ La mise en place du télétravail, gagnerait ainsi à se faire dans le cadre d’une stratégie globale d’entreprise, qui prenne en compte les salariés non éligibles. La formalisation permet de limiter les horaires atypiques : la tendance à travailler plus de 50 heures par semaine ou le soir après 20 heures serait réduite lorsqu’il existe un accord collectif ou individuel encadrant le télétravail, le droit à la déconnexion, parfois peu effectif, se pose avec une acuité particulière concernant les télétravailleurs. 

 

Pour en savoir davantage  : Terra Nova | Déconfiner le travail à distance (tnova.fr)

PowerPoint Presentation (travail-emploi.gouv.fr)