L’intervention publique française dans le champ de l’innovation est extrêmement dense à tous les niveaux de la chaîne (création d’entreprise, fiscalité, financement, etc.) ; plus forte que dans d’autres pays, la performance y apparait toutefois modeste ; ceci étant, l’entrepreneuriat innovant est développé à un niveau comparable avec les autres pays.


« Examen de l’OCDE des politiques d’innovation en France, 2014 », OCDE, version préliminaire

Le texte ci-dessous correspond au choix du rédacteur, mais le lecteur pourra trouver dans ce rapport de 294 pages bien d’autres éléments.

 

S’il n’existe pas de données consolidées sur les entreprises innovantes en France, trois estimations au moins permettent d’appréhender ce phénomène.

La première, menée par OSEO identifie l’ensemble des sociétés qui ont été soutenues par OSEO, ou qui ont déposé des brevets (INPI) ou été investies par des Fonds communs de placement en innovation (FCPI), membres de l’Association française des investisseurs pour la croissance (AFIC) ; cette mise en commun des données permet de recenser 10 000 entreprises en 2011 (PME, 45% du total), correspondant à un rythme de création d’environ 500 entreprises nouvelles par an ; ces

10 000 entreprises emploient 740 000 personnes et réalisent 200 Md€ de chiffre d’affaires.

 

– Une autre estimation peut être tirée du nombre de sociétés créées depuis la loi sur l’innovation de 1999 et de deux mesures qui lui sont liées : les incubateurs et le Concours national d’aide à la création d’entreprises de technologies innovantes ; la compilation de ces données entre 1999 et 2011 conduit au chiffre de 2 693 entreprises (une moyenne de 225 entreprises par an).

 

– Une troisième étude couvre un champ plus large, regroupant les entreprises qui ont bénéficié au cours de leurs trois premières années d’au moins un dispositif de soutien à leurs activités de recherche et d’innovation (aide à l’innovation d’OSEO, crédit d’impôt recherche, concours national de création d’entreprises ou incubateur), ou qui ont été qualifiées d’entreprise « innovante » par OSEO, ce qui conduit à environ 10 000 entreprises innovantes créées entre 1995 et 2004, (1 000 par an, 700 étant indépendantes) ; ajoutons 600 entreprises entrant dans le dispositif « jeune entreprise innovante » (JEI) tous les ans (les trois quarts d’entre elles ont moins de 2 ans).

 

Aucune de ces sources n’identifie une croissance du nombre de créations d’entreprises innovantes depuis dix ans, mais plutôt une stabilité du phénomène. Il faut noter que les critères utilisés par ces enquêtes pour définir l’innovation restent très liés à la RD et à la technologie.

 

Un autre indicateur (celui du pourcentage de « jeunes entreprises brevetantes ») situe la France en dessous de la médiane OCDE pour les dépôts de brevets par des entreprises âgées de moins de cinq ans (26% des entreprises brevetantes ont moins de cinq ans) ; toutefois si les jeunes entreprises françaises sont relativement nombreuses à prendre des brevets, chacune en prend peu.

 

Quelle est la trajectoire de ces entreprises innovantes ?

Oseo a analysé 10 000 entreprises innovantes, notamment les plus jeunes d’entre elles ; la jeune entreprise médiane (de moins de 3 ans) est une micro-entreprise d’un an et demi d’existence, qui emploie une personne et réalise 56 000€ de chiffre d’affaires ; la pérennité est plus importante que pour les autres entreprises, mais la croissance est faible (comme dans d’autres pays européens) ; noter que les « Jeunes Entreprises Innovantes » connaissent une croissance supérieure, mais leurs résultats bruts d’exploitation sont régulièrement négatifs.

 

C’est dans le secteur de l’Internet que la France a connu plus de réussites, là où l’innovation non technologique est autant sinon plus importante que l’innovation technologique, et où le soutien public est en conséquence moins fort.

 

20% des JEI font l’objet d’un rachat (acquisition ou prise de contrôle) à un horizon de cinq ans, contre 2% dans la population générale des nouvelles entreprises ; dans près d’un cas sur deux, le rachat est le fait d’une entreprise étrangère ; parmi les acquéreurs français, plus de la moitié sont des entreprises de moins de 250 salariés ; l’étroite spécialisation de ces start-ups intéresse plutôt les grandes entreprises ou les groupes, qu’elles soient nationales ou étrangères, mais toujours à vocation internationale.

 

Les sociétés françaises de capital-risque investissent plutôt dans des entreprises prometteuses à travers le monde ; on peut s’interroger sur le fait que les fonds (français ou étrangers) trouvent au total plus de projets intéressants à financer à l’étranger qu’en France ; cela est d’autant plus frappant qu’au Royaume-Uni et en Allemagne, on constate un équilibre entre les investissements dans le pays d’origine et en direction d’entreprises étrangères ; de ce fait, en nombre total d’entreprises l’Allemagne compte deux fois plus d’entreprises financées par le capital-risque que la France (966 contre 396) ; toutefois en 2010, le projet français moyen (1.9M€), dépasse le projet allemand moyen (0.75M€), mais est largement moins financé que le projet américain moyen (6.4M$).

Noter qu’en Europe, 3.5% des financements en capital-risque sont réalisés au stade d’entreprises nouvelles (seed), contre 6.6% en Allemagne et tombe et seulement 2.1% en France.

 

Le bilan de la politique française de soutien à la recherche et l’innovation : les réelles avancées demandent encore certains prolongements au niveau des conditions-cadre, de la cohérence stratégique, des interventions sur les liens et en amont, de l’ouverture aux acteurs et à l’entrepreneuriat, de la cohérence des instruments, et de l’évaluation et la transparence

– La cohérence stratégique des décisions est finalement assez faible, qui plus est dans un contexte de ressources publiques raréfiées, on aboutit à une perte d’efficacité d’ensemble du système d’intervention public ; malgré l’absence d’une stratégie unique explicite, on voit une claire orientation de la politique française vers le soutien à la R&D, avec pour résultat que des pans entiers de l’industrie française parmi les plus compétitifs (IAA, luxe, services, etc.) bénéficient peu des politiques d’innovation, en contradiction avec les prescriptions des nouvelles politiques industrielles

– Dès 2004, avec les pôles de compétitivité, la France a mis l’accent sur les liens interentreprises et entre entreprises et recherche publique, mais un certain nombre de programmes annoncés dans le cadre du PIA ou plus récemment (les « 34 industries-clés », par exemple) visent plus des technologies que des entreprises spécifiques.

Une troisième caractéristique des « nouvelles politiques industrielles » est leur insistance sur la nécessaire ouverture des dispositifs publics vers une variété d’entreprises, au-delà des traditionnels « clients » de l’État (principalement les grandes entreprises) ; l’entrepreneuriat y a été érigé en une dimension centrale de la politique d’innovation de la France.

– Une partie croissante des fonds publics destinés aux entreprises sont répartis sur la base d’appels d’offres ouverts (c’est le cas du PIA dès 2010, des fonds de l’ANR et des financements issus de l’opération Horizon 2030), favorisant ainsi les entreprises qui préparent les meilleurs projets et qui ne sont pas celles qui sont les plus habituées aux guichets publics.

 

Malgré cela, il faut noter que les grandes entreprises restent les principaux bénéficiaires des soutiens publics, non seulement en termes absolus, mais aussi en termes relatifs (taux d’aide) ; les ETI sont celles qui bénéficient le moins des aides, malgré l’attention dont elles font l’objet depuis 2008.

 

Les débats récents montrent la forte conscience du besoin de simplifier la carte des acteurs et des instruments impliqués dans la politique d’innovation, et son excessive complexité ; peu d’actions ont toutefois été engagées à cet effet.

La France se distingue par le poids très élevé des aides fiscales par rapport aux aides directes, mais l’efficacité de l’aide fiscale est limitée du fait du grand nombre d’aides dans des champs multiples. Dans le même temps, les aides directes se caractérisent dans nombre de cas par des montants unitaires peu élevés (notamment du fait de la multiplication des mesures, qui conduit à un certain émiettement).

 

La France a fait des efforts importants, notamment dans le contexte du PIA, dont tous les projets font l’objet d’un suivi quantitatif permanent de la part des administrations impliquées. Nombre de mesures importantes, tels le CIR ou les pôles de compétitivité, ont fait l’objet d’études répétées et approfondies, généralement de bonne qualité, commandées par les administrations en charge Il convient cependant de noter qu’aucune évaluation indépendante de ces mesures n’a eu lieu ; d’autre part, le caractère systémique des politiques d’innovation (chaque mesure a plusieurs objectifs, et vice-versa) appelle des évaluations elles-mêmes systémiques, globales, confrontant les objectifs et les résultats ; de telles études n’ont pas été réalisées.

Au total, il apparaît bien que la France a parcouru un long chemin depuis l’époque où les politiques d’innovations étaient centrées sur les grands programmes de l’État, les besoins de l’État, les moyens de l’État, etc. Il reste encore des changements significatifs à mettre en œuvre pour que les nouvelles politiques entreprises situent l’action de l’État en supplément du marché, et non en substitution au marché.

 

Où en est le système public de recherche de la France ?

Le système de la recherche publique français est composite, consistant en la juxtaposition d’éléments provenant de deux modèles différents : le modèle traditionnel, « administré », fondé sur les grandes structures autonomes, ayant un contrôle fort sur leurs domaines d’activité respectifs, et un modèle nouveau, fondé sur une programmation maîtrisée par l’État, une part de financements concurrentiels par projets, des laboratoires liés aux universités et une évaluation indépendante ; un modèle hybride permet normalement de choisir les mécanismes à mobiliser selon les missions assignées et les conditions spécifiques rencontrées par la recherche publique.

La voie suivie au cours de la dernière décennie a consisté à étendre le domaine couvert par les mécanismes concurrentiels par rapport au modèle administré, en vue de promouvoir excellence et pertinence ; par ailleurs, une place accrue est donnée au transfert, y compris de la propriété intellectuelle et à l’entrepreneuriat.

Cependant, ces évolutions n’ont pas remis en cause les fondements mêmes du système actuel de la recherche publique ; deux questions se posent, celle du dosage entre les deux modèles et l’organisation de leurs complémentarités.

Le caractère composite du système de recherche est source d’une plus grande complexité, qui elle-même réduit l’efficacité du système (une fraction croissante des ressources, par exemple le temps des chercheurs, est allouée à la gestion plutôt qu’à la production) ainsi que sa lisibilité (et donc la possibilité d’un pilotage).

 

Quant aux transferts entre la recherche publique et les entreprises, l’examen des politiques de valorisation de la recherche publique montre un foisonnement d’initiatives, d’instruments, de réglementations, de dispositifs et d’institutions manquant d’orientation et de cohérence ; malgré la priorité politique, l’absence de cohérence affecte clairement l’efficacité globale du système.

 

Le rôle de l’innovation dans la dégradation de l’industrie française

La R&D industrielle française se situe à un faible niveau au regard de pays comparables (en premier lieu, l’Allemagne) et s’explique essentiellement par sa structure par secteur et par taille ; elle correspond à un positionnement industriel différent sur d’autres sources de compétitivité que la RD ; l’examen d’autres indicateurs d’innovation que la RD (l’innovation, le design et la qualité) montre que la performance des entreprises françaises se compare favorablement à la moyenne de l’OCDE. Si l’innovation est un facteur crucial pour la croissance de l’industrie française, elle n’est pas la cause première du déclin observé ; celui-ci est dû à des causes plus générales, tel le caractère peu favorable aux entreprises des conditions-cadres de l’activité entrepreneuriale en France du côté des marchés du travail, des produits ou de la fiscalité.