Une typologie des territoires en Ile de France selon que les ménages sont aisés ou pauvres.


"GENTRIFICATION ET PAUPÉRISATION AU CŒUR DE L’ÎLE-DE-FRANCE ÉVOLUTIONS 2001-2015", IAU Ile-de-France, mai 2019

Les inégalités sociales, observées à partir d’une typologie de territoires en Ile-de-France, montre un creusement des inégalités dans la localisation des ménages.

⇒ Quelques élements de cadrage pour situer l’Ile-de-France

“L’Ile-de-France se distingue par sa puissance économique en France. Si elle abrite 18,8% de la population française, elle produit 30,5% des richesses et concentre 22,3% des emplois en 2015.”

 

Sur la période 2000-2015, son PIB en volume s’accroit plus fortement qu’en France (+ 27% contre + 18 pour la France). Mais en termes d’emploi, la période 2010-2015 est marquée par le ralentissement économique qui a suivi la crise de fin 2008; celui-ci va baisser sur deux années consécutives en France (-362 000 emplois perdus) et en Ile-de-France (-69 000 emplois), et ne retrouvera son niveau de 2007 que fin 2012 en France et fin 2011 en Ile-de-France. Ainsi,  l’emploi s’accroit au même rythme qu’en France (+7%), avec un rattrapage en fin de période. Fin 2015, le taux de chômage est plus élevé (8,8%, mais moins qu’en France métropolitaine) qu’au début des années 2000 (6,4%). 

⇒ L’importance des cadres et des ménages aisés

La concentration de sièges sociaux et de fonctions de commandement en Ile-de-France se traduit par une surreprésentation de cadres (34,5% des ménages dont la personne de référence est cadre) vivent en Ile-de-France en 2015; la part des personnes de référence « cadres » est nettement plus élevée en Ile-de-France qu’en province (22,1% contre 9,3). Mais l’écart avec la province augmente plus faiblement depuis une dizaine d’années, après s’être fortement creusé jusqu’au milieu des années 2000.

 

La distribution comparée des niveaux de vie entre l’Ile-de-France et la France métropolitaine atteste aussi de la forte concentration de ménages aisés dans la région capitale. En 2015, le niveau de vie des Franciliens les plus riches est supérieur de 23% à celui des Français. En revanche, les 20% des ménages franciliens les plus modestes ont des niveaux de vie similaires aux 20% des ménages modestes français. Le taux de pauvreté francilien est supérieur de 1 point au taux national (15,9% contre 14,9).

 

L’Ile-de-France est la région où les inégalités sont les plus marquées du fait de la concentration de populations très aisées (entre 2 000 et 2015). Sur les trois années qui suivent la crise 2008, les inégalités tant de revenu déclaré que de niveau de vie se sont creusées par le bas, les ménages pauvres et modestes ayant été davantage exposés au retournement économique; depuis 2012, si les inégalités de revenus déclarés continuent de se creuser, les ménages les plus pauvres enregistrent une baisse de revenu, alors que les niveaux de vie tendent à stagner pour tous. 

Le logement et la composition des ménages

En 2015, 46,8% des ménages franciliens sont des personnes seules ou des familles monoparentales, 3,4 points de plus qu’en 1999; l’Ile-de-France compte 594 000 ménages de plus qu’en 1999 ; parmi eux, 72% sont des personnes seules ou des familles monoparentales.

Dans un contexte d’envolée des prix immobiliers (les prix des logements anciens franciliens ont été multipliés par trois entre 1999 et 2018), le statut d’occupation et le logement sont devenus des marqueurs sociaux plus forts et participent de plus en plus à la différenciation sociale.

 

En 2015, 57% des ménages propriétaires relèvent des quatre déciles les plus aisés; inversement, près de sept ménages du parc HLM sur dix appartiennent aux quatre déciles les plus modestes; le revenu moyen déclaré des ménages propriétaires est supérieur de 30% au revenu moyen de l’ensemble des ménages; le revenu des locataires est inférieur à la moyenne, de 12% pour les locataires du privé, de 45% pour les locataires d’HLM.

Entre 2001 et 2015, les propriétaires franciliens sont devenus relativement plus aisés et les locataires d’HLM, plus pauvres. Depuis 1999, le parc en propriété a accueilli les 2/3 de la progression des ménages « cadres », alors que le parc HLM a hébergé 47% des familles monoparentales supplémentaires.

 

La propriété a fortement soutenu la croissance du parc de résidences principales depuis 1999 : parmi les 594 000 résidences supplémentaires que compte la région en 2015, 420 000 concernent des logements occupés en propriété; un autre parc s’est nettement développé, celui des meublés, chambres d’hôtel et sous-locations (+117 000), alors que la part des logements locatifs libres loués vides a peu évolué (+41 000). Le parc de logements sociaux a augmenté de 78 000 logements, et le nombre de logements gratuits a diminué de 63 000 unités.

 

Le nombre de logements locatifs privés loués libres a reculé à Paris (-71 000) et dans les Hauts-de-Seine (-4 500), tandis que les meublés y progressaient respectivement de 53 600 et 15 200 unités. Une partie des logements locatifs anciens ont été convertis en logements sociaux, notamment sur Paris; par ailleurs, la forte hausse des meublés résulte du choix de certains bailleurs privés d’adopter une réglementation plus souple et d’une fiscalité plus avantageuse que celle de la location vide. Le parc social devient de moins en moins une étape en vue d’un projet d’accession à la propriété, mais un parc refuge dans un contexte de prix des logements élevés tant à l’achat qu’à la location dans le secteur libre, entrainant une baisse de la mobilité des logements.

⇒ Une typologie des territoires

Une forte polarisation entre espaces très aisés et très pauvres au cœur de l’agglomération, au sein même du Grand Paris est observée; les deux classes extrêmes (très riches et très pauvres) sont très urbaines et couvrent peu de communes (13 pour la plus aisée, 14 pour la plus pauvre), avec chacune environ 200 000 ménages, soit, en tout, 8% des ménages franciliens.  Dans le territoire le plus aisé, 39% des ménages appartiennent au décile francilien le plus riche, dans le territoire le plus pauvre, ce sont comparativement 26% des ménages qui appartiennent au premier décile. La moitié des ménages les plus aisés résident dans seulement 26 communes en 2015, dont 17 arrondissements parisiens, alors que la moitié des ménages les plus pauvres résident dans 46 communes (près du double), dont 11 arrondissements parisiens.

 

Les différentes classes de la typologie s’organisent en trois grands groupes :

 

– Un espace « aisé » (37% des ménages) où les ménages aisés sont surreprésentés et les ménages pauvres et modestes sous-représentés. Ce territoire très urbain comprend beaucoup de logements locatifs privés à Paris et en banlieue proche, qui accueillent une proportion élevée de personnes seules. Les cadres y sont très présents.

 

Un espace « modeste » (32% des ménages) où les ménages pauvres et modestes sont surreprésentés et les ménages aisés peu présents. Dans ces territoires, la part des logements HLM est plus élevée, les couples avec enfants ou les familles monoparentales plus fréquents, comme le sont aussi les ménages « ouvriers » ou « employés » et les immigrés.

 

– Un espace à dominante périurbaine où les situations extrêmes – très aisés ou très pauvres – sont sous-représentées au profit des profils intermédiaires (30 % des ménages franciliens). Ce sont des territoires où domine la propriété. Les couples avec ou sans enfants, les retraités et les professions intermédiaires y sont plus nombreux qu’ailleurs, mais aux confins de la région; ce sont les catégories modestes qui sont les plus représentées.

 

Un quatrième groupe, à l’intersection des trois précédents est constitué des espaces les plus mixtes dont le profil est proche de celui la région, avec 1/3 des ménages. Ce sont pour l’essentiel des espaces urbains, situés au centre ou aux franges de la proche couronne, et pour certains dans les périmètres des anciennes villes nouvelles.

 

Onze encadrés présentent les caractéristiques propres à chacun de ces secteurs sous forme de graphiques relatifs au profil des revenus, aux catégories sociales, aux statuts d’occupation, aux structures familiales ou encore aux âges des résidents.  

⇒ Spécificités propres à chaque département

Paris
Au regard des prix de l’immobilier et des loyers, Paris concentre la plus forte part de ménages très aisés : 18,4% des ménages relève du décile de revenu le plus élevé, 25,9% sont des cadres vs 7,6% des ouvriers (le département où il y a le plus de cadre et le moins d’ouvriers); mais la part des ménages les plus pauvres est proche du niveau régional.
L’importance du parc de petits logements locatifs favorise l’accueil des étudiants et donc une forte excroissance des effectifs entre 20 et 30 ans; c’est aussi le département où les plus de 60 ans sont les plus présents. La moitié des ménages parisiens sont constitués de personnes seules, souvent jeunes. Le parc en propriété ne constitue qu’un gros tiers du parc parisien.

 

Les Hauts-de-Seine
Il concentre des ménages très aisés, mais la richesse y est un peu moins prégnante qu’à Paris. On y trouve davantage de propriétaires (43%), et un équilibre entre parc locatif social et privé. Cette structure est proche de celle de la région, comme l’est aussi sa pyramide des âges, avec un peu plus de trentenaires.

 

Les Yvelines
Le 3e département francilien le plus aisé. Les profils de revenu sont plus proches du profil moyen régional, avec un peu plus de ménages aisés dans le parc en propriété et le locatif privé.  La part des propriétaires est beaucoup plus élevée (60% du parc) ce qui contribue à son faible taux de pauvreté et favorise l’accueil de familles avec enfants, dont adolescents. C’est le département de grande couronne où la part des habitants de plus de 60 ans est la plus élevée.

 

Le Val-de-Marne
Les caractéristiques du Val-de-Marne en matière de revenu, de structures de parc, de ménages et d’âge sont les plus proches de la région. Il se singularise par une part de ménages très aisés un peu plus faible que dans la région (7,3 % des ménages relèvent du 10e décile). Les ménages de cadres y sont moins nombreux qu’à l’échelle de la région (14,8 % contre 18,3 %) au profit de catégories modestes (employés, ouvriers) et de retraités.

 

La Seine-Saint-Denis
La Seine-Saint-Denis concentre les ménages les plus pauvres, avec une très forte sous-représentation des ménages aisés (14% de ces ménages relèvent des trois déciles les plus aisés, deux fois moins qu’en Ile-de-France), et 47,4% relèvent des trois déciles les plus pauvres. Le poids des ménages pauvres est même plus élevé dans le parc locatif privé que dans le parc social attestant de tout un pan de logements locatifs en très mauvais état. La part des ménages cadres y est la plus faible (8,3% soit 10 points de moins que dans la région), celle des ménages ouvriers nettement plus importante (23,1%, 8 points de plus que dans la région), comme celle aussi des employés (18,1%). Les logements sociaux y sont presque aussi nombreux que les logements en propriété (35,7% contre 39,7%). Les familles avec enfants (couples avec enfants et familles monoparentales) constituent 46% des ménages, près de 7 points de plus qu’en moyenne dans la région. C’est le département où les enfants en bas âge sont les plus nombreux.

 

La Seine-et-Marne
La Seine-et-Marne rassemble surtout des ménages de classes moyennes, le plus souvent propriétaires (62% des ménages). Espace à dominante rurale, le locatif social y est moins présent qu’ailleurs. Il permet de canaliser les ménages les plus modestes du département qui y sont nettement surreprésentés : 46% des ménages vivant dans le parc social relèvent des deux premiers déciles, à peine moins qu’en Seine-Saint-Denis (48,4%). Les couples avec ou sans enfants sont nettement surreprésentés (près de six ménages sur dix) à l’inverse des personnes seules. La pyramide des âges montre un déficit de jeunes adultes et une surreprésentation des enfants et adolescents.

 

L’Essonne l’Essonne a un profil proche du profil régional, que ce soit en termes de revenu ou de catégories sociales. Les ménages les plus aisés y sont aussi peu présents quel que soit le statut d’occupation. Le parc HLM y est un peu plus important qu’en Seine-et-Marne, mais la pauvreté y est moins prégnante. Les jeunes adultes y sont aussi sous-représentés.

 

Le Val d’Oise
Le Val d’Oise présente un profil inversé de celui des Yvelines, avec une surreprésentation de ménages modestes et peu de ménages aisés. La part des ménages les plus pauvres (1er décile) est similaire à celle de la région. Il accueille le plus de ménages ouvriers après la Seine-et-Marne, notamment dans sa partie est qui jouxte la Seine-Saint-Denis. Les cadres y sont peu présents. C’est aussi à l’est que se concentre son parc social, qui est le plus important de la grande couronne. Les ménages formés d’un couple y sont majoritaires (57,5% des ménages) et la part des familles monoparentales y est la plus élevée de grande couronne (12,1%). Sa pyramide des âges atteste de l’importance des familles avec enfants : 28,5% des habitants ont moins de 20 ans, proportion à peine plus faible qu’en Seine-Saint-Denis (28,9%), avec un déficit chez les jeunes adultes.

⇒ L’évolution

La part des ménages les plus modestes s’accroit fortement en Seine-Saint-Denis, le département où elle est déjà la plus élevée; celle des ménages les plus aisés augmente à Paris et dans les Hauts-Seine.

 

La part des cadres progresse le plus dans les départements où elle était déjà la plus élevée en 1999 : +6,9 points à Paris et +7,3 points dans les Hauts-de-Seine entre 1999 et 2015, contre seulement +2,8 points en Seine-Saint-Denis.

En 2015, quatre ménages arrivés depuis moins de cinq ans sur dix sont des cadres à Paris (41%) et les Hauts-de-Seine (39%) pour seulement 14% en Seine-Saint-Denis. La tendance est donc à un accroissement des écarts.

Les cadres préfèrent le centre : les 3 départements où la progression des ménages cadres est nettement supérieure à la moyenne régionale (3,7 points) se situent au centre : Paris (+6,9 points), les Hauts-de-Seine (+7,3 points) et le Val-de-Marne (+4,3 points). En 1999 comme en 2015, ces trois départements rassemblent 60% des ménages cadres ou qui l’ont été. Ils ont accueilli seulement 32% de la croissance des ménages franciliens entre 1999 et 2015 mais 60% de l’évolution des ménages cadres ou anciennement cadre

 

L’évolution de la répartition des immigrés participe de l’accentuation de la différenciation sociale. Leur présence se renforce fortement en Seine-Saint-Denis (+7,9 points entre 1999 et 2015) pour atteindre 29,7% des habitants en 2015. Dans le même temps, elle augmente beaucoup plus faiblement à Paris (+2,2 points) et dans les Hauts-de-Seine (+3,4 points). Leur progression parmi les arrivées récentes en Seine-Saint-Denis est la plus forte de la région avec le val d’Oise. En Seine-Saint-Denis, 48% des ménages installés depuis moins de 5 ans en 2015 ont une personne de référence immigrée, contre respectivement 26,7% à Paris, 27,9% dans les Hauts-de-Seine et 29,5% dans l’ensemble de la région.

 

Pour aller plus avant : https://www.iau-idf.fr/fileadmin/NewEtudes/Etude_1807/Gentrification_et_pauperisation.pdf