Le mécénat d’entreprise en forte progression depuis la possibilité de déduction fiscale.


"LE SOUTIEN PUBLIC AU MÉCÉNAT DES ENTREPRISES : un dispositif à mieux encadre", Cour des Comptes, novrembre 2018

Cette communication vise, conformément à la demande de la commission des finances de l’Assemblée nationale, à dresser un bilan avec un recul suffisant pour apprécier ses apports mais aussi ses limites.

 

⇒ Un dispositif fiscal avantageux et dynamique

 

“Avec la loi Aillagon, la France s’est dotée d’un dispositif fiscal généreux en faveur du mécénat des entreprises, qui demeure, quinze ans après, parmi les plus incitatifs sur le plan international.”

Outre une réduction d’impôt à un taux élevé (60%) et un plafonnement peu contraignant, les entreprises peuvent bénéficier d’un échelonnement de l’avantage fiscal sur 5 ans et de contreparties, dans une limite de 25% du don.

Enfin, une définition large de l’intérêt général permet à de nombreux organismes et secteurs d’activité de recevoir des dons.

Parallèlement, la possibilité instituée en 2000 de donner le nom de l’entreprise mécène à une fondation éponyme, ce qui était jusqu’alors strictement interdit, a puissamment encouragé l’essor du mécénat dans certains secteurs.

 

Ce dispositif a contribué à une multiplication par 10 du nombre d’entreprises recourant à cet avantage fiscal : 6 500 entreprises en 2005, première année de mesure de la dépense fiscale, 58 787 en 2016 et 68 930 en 2017.

 

Mais le mécénat demeure fortement concentré sur les très grandes entreprises : les 24 premiers bénéficiaires de l’avantage fiscal représentaient 44% du montant de la créance fiscale en 2016.

3 secteurs concentrent l’essentiel de la réduction d’impôt, l’industrie manufacturière, le secteur financier et des assurances et surtout le secteur du commerce et de la distribution qui représente à lui seul plus de 40% de la dépense totale. En 2016, parmi les cinq premiers groupes ayant déclaré une dépense fiscale au titre de l’article 238 bis du CGI, trois relevaient du secteur de la grande distribution. Au-delà de son importance en termes de chiffre d’affaires global ou de nombre d’entreprises, la place occupée par ce dernier secteur s’explique par la part importante des dons alimentaires en tant que mécénat en nature. 

 

Le mécénat des plus petites entreprises se développe, notamment sous la forme d’un mécénat collectif.

Les entreprises soumises à l’impôt sur le revenu sont peu concernées, même si, en six ans, le nombre des donateurs a été multiplié par trois; en 2016, 7 253 entreprises sont concernées pour un montant total de réduction d’impôt de 3,94 M€. Le dispositif bénéficie donc très majoritairement aux entreprises redevables de l’IS. 

Le plafonnement de la mesure fiscale (5‰ du chiffre d’affaires hors taxes) constitue toutefois une contrainte, surtout pour les très petites entreprises. Si le plafond est identique pour toutes les entreprises, son niveau est souvent considéré comme plus contraignant pour les petites que pour les plus grandes.

 

Longtemps identifié au secteur culturel, le mécénat soutient aujourd’hui largement les secteurs social, éducatif et de la santé, dans un contexte marqué par les conséquences de la crise économique de 2008.

En 2018, le social regroupe 28% du budget du mécénat, la culture et le patrimoine 25%, l’éducation 23%, la santé 11%, l’humanitaire 10%, le sport 2%, la recherche scientifique hors santé moins de 1%, l’environnement, développement durable, biodiversité  moins de 1%; noter qu’en 2016, l’accompagnement des entrepreneurs sociaux, et le développement entrepreneuriat social concernait 5% du budget.

 

⇒ Des transformations du mécénat insuffisamment prises en compte

 

On dénombre en 2017, 2 364 fondations (en progression de 113% depuis 2001) et 2 494 fonds de dotation (en progression de 35% depuis 2014).

 

Alors que les entreprises mécènes ont longtemps privilégié le financement direct d’organismes privés ou publics, elles recourent plus volontiers aujourd’hui à des organismes intermédiaires, tels que les fondations et des fonds de dotation, 24% d’entre elles recourant à des structures qu’elles ont spécifiquement créées dans cette intention.

 

La structuration des services en charge du mécénat dans les grandes entreprises a conduit à la définition de véritables politiques de mécénat, souvent diversifiées quant aux secteurs aidés, mais beaucoup plus ciblés quant aux projets financés.

Dans un contexte d’émergence de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans les grandes entreprises, les frontières entre cette politique, qui concourt à l’objet social de l’entreprise, et le mécénat, qui répond à des objectifs d’intérêt général, tendent à se brouiller.

L’essor récent de fondations d’art contemporain conduit à s’interroger sur la prise en compte des retombées médiatiques de leurs actions en termes d’image et de notoriété, celles-ci tendant par leur importance à rapprocher le mécénat du parrainage, et sur l’encadrement éventuel des projets fondés sur la construction de bâtiments prestigieux confiés à de grands architectes, dont une partie majoritaire est financée par la dépense fiscale.

 

L’État ne s’est pas doté des outils lui permettant de documenter ces évolutions du mécénat et de rendre compte des effets de sa politique de soutien au mécénat, alors que a dépense fiscale a été multipliée par 10 (actuellement 900 M€ vs en moyenne entre 2011 et 2015, 547M€), une dépense appelée à figurer à l’avenir parmi les 20 principales dépenses fiscales.

Aucune évaluation de l’efficience des dispositifs en faveur du mécénat des entreprises n’a été réalisée récemment.

Or le soutien au mécénat des entreprises doit être considéré comme une véritable politique publique. Il fait l’objet d’un pilotage éclaté entre plusieurs départements ministériels, aucun n’étant en capacité de l’exercer de manière efficace et avec une vision interministérielle.