Au-delà de l’innovation technologique, l’open innovation conduit à imaginer des eco-systémes profitables aux différents acteurs ; comment les construire, quelles difficultés vont être rencontrées ?


« L’Open Innovation Sociétale : ouvrir le processus d’innovation de l’entreprise est-il un moyen de mieux répondre à ses enjeux sociétaux ? », Bluenove/BVA, Juin 2014

Une initiative de bluenove, en partenariat avec Butagaz, Caisse des Dépôts, Humanis, Orange, Suez Environnement sur la base de l’étude bluenove  

Enquête qualitative Bluenove : 38 personnes de grandes entreprises et organisations publiques, en France et à l’étranger, interviewées, individuellement ou collectivement avec des fonctions et des niveaux hiérarchiques volontairement divers, chacune partageant sa vision de ce que peut être l’Open Innovation Sociétale, et comment leurs initiatives personnelles ou leur organisation sont déjà en marche sur cette voie.

Enquête quantitative en ligne réalisée par BVA auprès des entreprises présentes en France de plus de 1000 salariés (niveau siège) et des fonctions les plus susceptibles d’être concernées par l’Open Innovation Sociétale : directions, responsables et manager innovation, communication, marketing, RSE.

 

Définition « Open Innovation » : démarche consistant à impliquer tant l’écosystème externe (partenaires, clients, fournisseurs, universités et laboratoires de recherche, startup, collectivités publiques, concurrents ou acteurs d’autres secteurs) de l’entreprise que l’ensemble de ses ressources internes (différents départements et niveaux hiérarchiques) dans des dynamiques d’innovation collaborative.

 

« Plusieurs facteurs ont favorisé l’intérêt croissant pour ce concept ainsi que l’émergence de démarches ouvertes, structurées et dépassant les simples collaborations one-to-one…pour aller vers la construction d’écosystèmes d’innovation » :

– Le mouvement de recentrage des entreprises sur le maillon de la chaîne de valeur ou celui dont elle maîtrise le mieux les facteurs de succès.

– L’externalisation des activités, fonctions et processus qui ne sont pas «cœur de métier» et demandent des savoir-faire que des prestataires extérieurs, concentrés sur un seul métier, sont mieux à même de mobiliser ; ainsi, la capacité de création de valeur dépend de plus en plus de l’extérieur.

Les contraintes budgétaires incitent à développer de nouveaux savoir-faire et à mobiliser le potentiel de créativité et d’innovation inexploité, sous-exploité ou mal exploité de l’ensemble des collaborateurs.

– La formidable poussée du numérique qui transforme à grande vitesse non seulement les systèmes productifs mais encore les modes de relation et de socialisation des individus.

 

41% déclarent être en phase amont de la définition d’une stratégie d’Open Innovation et 22% en phase d’optimisation (en progression depuis 3 ans) ; 4% jugent ce type de démarche inenvisageable, la principale raison évoquée étant la volonté de contrôler de bout en bout les projets innovants et de maintenir la concurrence à distance.

 

Ce type d’innovation permet à l’entreprise :

– d’améliorer l’offre de produits et de services (93%), d’accélérer le développement de produits et de services innovants (86%),

– de développer sa notoriété (84%), d’améliorer la satisfaction client (76%), de se différencier des concurrents (76%)

– de développer un écosystème de partenaires innovants (79%), de contribuer à des projets eco-citoyens (62%)

– d’apporter des réponses à des questions non résolues en interne (64%)

– de générer de nouveaux revenus (60%) et de diminuer les coûts du développement de nouveaux produits (51%)

 

La hiérarchie des réponses montre que les entreprises ont une approche consistant à aller chercher à l’extérieur des idées, des concepts ou des technologies pour alimenter et accélérer leur processus d’innovation, au moins autant que de vendre, louer ou mettre à disposition de tiers certains résultats du processus d’innovation interne.

 

De fait, les entreprises qui réussissent ont compris que servir les consommateurs de la base de la pyramide exige de repenser intégralement les produits, leurs modes de production et de distribution, parce qu’il ne suffit pas de comprimer les prix.

 

Une des clés de la réussite est de se rapprocher et de s’inspirer des modèles d’innovation informels des populations locales et des entrepreneurs locaux en renouant avec l’ingéniosité pratique, l’intuition et la créativité pour arriver à faire avec beaucoup moins d’argent, de matière, d’énergie, de transport, de complexité, des produits/services réellement adaptés aux besoins et aux conditions de vie de ceux à qui ils sont destinés ; il faut sortir de la logique top-down et reconnaître aux acteurs locaux la capacité et le droit d’inventer de bout en bout des solutions adaptées aux besoins et aux contraintes locales de tous ordres.

 

Ce qui se dégage des entretiens menés, c’est « l’aspiration à restaurer la confiance, à voir les entreprises agir dans le sens d’un progrès qui ne laisserait personne sur le bord de la route », avec en toile de fond deux idées qui gagnent peu à peu du terrain : l’efficacité économique n’a de sens qu’au service des gens et l’innovation n’a de sens que si elle améliore le bien-être ou simplifie concrètement la vie des gens.

Ainsi les ¾ des entreprises interrogées disent valoriser leur rôle sociétal, un rôle qui pour 89% sera un de leur grand axe stratégique au cours des 5 prochaines années.

 

Ceci étant, une démarche d’Open Innovation Sociétale ne s’improvise pas mais doit s’appréhender dans sa dimension stratégique comme «un processus d’apprentissage organisationnel conduisant au renouveau stratégique d’une entreprise» et exige une «conversion sociétale» en rupture avec les logiques top-down ; il s’agit de reconnaitre à tous les membres de l’organisation le droit à l’initiative. C’est plus une affaire de conviction et d’engagement personnel que de mandat explicite ou de place dans l’organigramme.

 

Qui impliquer ?

Les répondants mettent avant les collaborateurs (81%), les clients (70%), les universités, les écoles (70%), les fournisseurs (62%), les collectivités locales (54%) et seulement 30% les labo de recherche.

Les directions en charge de ces projets sont pour 45% celle de la communication, et à égalité (39%) celle du marketing et de l’innovation.

 

Comment ?

Travailler par projets favorise à la fois l’implication des parties prenantes, la montée en compétence des personnes impliquées et l’accélération du processus qui va de la «bonne idée» de départ à sa concrétisation sous une forme viable et désirable.

Encore faut-il être clair sur ce que l’on entend par projet : un ensemble coordonné d’actions mises en œuvre pour atteindre un but précis afin de répondre à un besoin spécifique dans un temps donné ; par définition le projet est limité dans le temps, assorti d’objectifs, d’échéances et d’évaluations.

Les types de projets, cités par les répondants sont variés : projets d’innovation avec les clients (53%), projets de communication interne visant à sensibiliser les managers et les collaborateurs dans leur travail quotidien (43%, mais 58% dans les plus grands organisations), projets de communication externe (39%, 58% dans les grandes organisations).

 

Un puissant levier : l’intrapreneuriat : « Si la règle de base de l’Open Innovation est d’ouvrir le jeu, il ne faut pas en déduire que tout le monde va avoir envie de jouer. Dans toutes les dynamiques collectives, se détachent invariablement une minorité agissante et, dans cette minorité, des personnalités fortement engagées qui jouent un rôle moteur ; ce sont les intrapreneurs. »

La difficulté n’est pas tant de les repérer que de créer les conditions pour qu’ils affinent et conduisent leur projet à bonne fin, les responsables RH jouant un rôle clé dans leur identification et leur accompagnement.

 

Une des difficultés est de sortir de l’idée de « captation » d’idées et de valeur. De fait en 2011, dans l’enquête réalisée par bluenove, 88% des grandes entreprises interrogées estimaient que l’Open Innovation les exposait à des risques de vol ou détournement de propriété intellectuelle. Selon l’étude publiée en 2012 par CGI et Centrale Paris, les deux principaux freins exprimés à une plus grande ouverture de leurs processus d’innovation sont le partage de la valeur et de la propriété intellectuelle ; à cela, il faut ajouter les questions de confidentialité, les problèmes juridiques, la volonté de contrôler de bout en bout les projets innovants.

Nombre de craintes sont levées dès lors que les règles du jeu sont clairement énoncées dès le départ, qu’elles prennent en compte toutes les parties prenantes et redistribuent équitablement la valeur générée par chacun ; les démarches d’Open Innovation Sociétale fructueuses obéissent beaucoup plus à une logique de pollinisation et de fertilisation croisée qu’à une logique de captation d’idées ou de richesses.

 

Autre difficulté, le temps nécessaire pour agir avec pertinence : si l’objectif majeur de l’Open Innovation est d’accélérer le processus d’innovation et de produire des innovations créatrices de valeur pour les parties prenantes internes et externes, il faut toutefois accepter de consacrer du temps à la recherche des bons partenaires ainsi qu’à l’exploration des bonnes idées et à leur maturation. Les grandes entreprises se tournent vers des startup pour trouver des réponses techniquement innovantes et à forte valeur ajoutée sociétale, mais les collaborations se révèlent souvent moins fructueuses qu’espéré, parce que les grandes organisations n’ont ni la même appréhension du temps ni les mêmes impératifs temporels ; disposant par nature des ressources limitées, les jeunes entreprises innovantes ont peu de temps à consacrer à l’exploration, au décryptage des schémas d’organisation et aux processus de décisions complexes des grandes entreprises. La clé est d’accélérer le cycle de décision

 

L’ancrage territorial est jugé valeur d’avenir : c’est là que se constituent les écosystèmes innovants, par agrégation et concentration progressive de « forces vives » : entreprises, universités, laboratoires de recherche, incubateurs et startup, fablabs. La proximité géographique et l’appartenance à un même territoire rendent plus évidemment tangible l’intérêt des acteurs économiques à collaborer et à être solidaires, qu’il s’agisse de relations client-fournisseur, d’implication dans la vie communautaire ou de partenariats visant à répondre à une problématique propre à un territoire, dans une optique de réplication sur d’autres territoires